Il est une des deux premières signatures du label G.O.O.D Music. Auteur, poète et rappeur il est surtout une des voix influentes de Chicago. Il y a un mois dans le cadre du COP 21 Malik Yusef était à Paris. Petite interview.
La première fois que j’ai entendu Malik Yusef c’était au siècle dernier dans l’excellent troisième album de Common One Day It’ll All Make Sense. Déjà à l’époque sur My City il représentait et parlait de sa ville Chicago avec talent et fierté. Je l’avais un peu perdu de vue avant de retrouver sa voix à la fin de Crack Music sur le deuxième album de ‘Ye. Depuis Malik Yusef a toujours été très impliqué dans les projets de monsieur West. Il est une des premières signature et une des « fourmis ouvrières » de G.O.O.D Music. Ainsi on retrouve sa plume créditée sur par exemple Love Lockdown de 808 & Heartbreak. Plus récemment Malik Yusef a co-écrit – ou aidé à l’écriture – de huit des dix titres de Yeezus car son vrai nom Malik Jones est inscrit dans les crédits. Enfin, cet homme qui ne quitte jamais son durag est un peu la colonne vertébrale, une sorte de « conseiller spirituel » pour Kanye. Il se chuchote que c’est grâce à lui que Yeezy garde encore les pieds sur terre. Bien qu’il soit toujours dans le sillage du rappeur, Malik Yusef continue de développer ses projets personnels. J’avais tenté l’année passée de le rencontrer lors d’un reportage à Chi-Town sur les Bulls. Peine perdue. Il est toujours entre deux avions. Par exemple depuis peu, cet ancien « soldat » des rues de Chicago travaille avec une ONG pour sensibiliser le « hood » aux questions de l’environnement. C’est dans le cadre de cet ONG que monsieur Yusef était à Paris ce mois de décembre pour la Conférence sur le Climat plus connue sous le nom de Cop 21. Grâce à mon camarade Almamy Konaté, j’ai pu réaliser une rapide interview dans le lobby de l’hôtel avec Malik Yusef. Nous avons parlé de la Cop 21 mais aussi bien sûr de Chicago, de Barack Obama du film Chi-Raq de Spike Lee et encore et toujours Chicago.
Pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu nous parler de ton affiliation à Kanye West ?
C’est très simple. Je fais partie de G.O.O.D Music. J’ai rencontré Kanye il y a très longtemps à Chicago. J’animais un concert et lui devait en faire la première partie. Après sa performance je l’ai trouvé très bon et je l’ai mis en contact avec John Monopoly. J’estime sans arrogance aucune que je l’ai introduit dans le monde du Hip-Hop de Chicago. J’ai aussi donné à Kanye une crédibilité en le présentant à Common par exemple. Dés qu’il a eu l’occasion il m’a renvoyé l’ascenseur en me signant sur G.O.O.D Music où depuis ces dix dernières années j’écris et je compose. J’ai co-écrit All Day et aujourd’hui je suis une nouvelle fois nommé pour un Grammy Award.
Qu’est-ce qui t’amènes aujourd’hui à Paris ?
Je suis là pour le COP 21. Je suis membre du Hip-Hop Caucus et on se bat pour l’environnement. Le Hip-Hop Caucus est une organisation non gouvernementale qui se bat pour la justice sociale, les droits civiques et les droits de l’homme. On fait partie d’un mouvement qui s’appelle Act On Climate et on veut sensibiliser la génération Hip-Hop sur ces problématiques.
Peux-tu concevoir que les gens des quartiers ne soient pas sensibles à ces problèmes ?
Oui je le conçois d’autant mieux car c’est fait exprès. Les gens qui sont dans le « hood » sont le plus touchés et on s’arrange pour leur faire croire que ce n’est pas important. Mais pourquoi sont-ils toujours malades ? D’où viennent ces cancers ? L’asthme ? Ils ne veulent pas expliquer que l’environnement (la pollution de l’air etc) nous affecte aussi. Ils préfèrent continuer à distraire le « hood » avec des bêtises. Lorsqu’on dit clairement aux gens que les grosses multinationales leurs mentent, les gens comprennent. Ils polluent les quartiers mais ne veulent pas payer pour nettoyer ces quartiers.
Concrètement comment as-tu pu faire entendre ta voix ?
Grâce à l’art. Grâce à la culture. Cela reste le meilleur moyen de communiquer. Je sais que notre voix a été entendue. Les gens nous voient, ils sentent que nous sommes prêts. Tu sais être Noir dans ce monde est déjà un défi en soi. C’est un défi puissant que l’on accepte de relever ici à travers notre culture le Hip-Hop pour faire changer les choses.
Ok. Parlons un peu de ta ville Chicago… Récemment il y a eu le drame de Laquan McDonald un abattu par un policier. Et on a appris que la police avait caché cette vidéo durant 13 mois !
C’est terrible ce qui se passe en ce moment. C’est courant aux Etats-Unis. Ils permettent à des structures dominantes blanches- où qui sont perçues comme telles- d’abuser de jeunes Noirs. Laquan McDonald n’était pas un ange mais il ne méritait d’être exécuté en pleine rue.
As-tu vu Chi-Raq de Spike Lee ?
Non.
As-tu l’intention de le voir ?
Non.
Pourquoi ?
Je ne suis pas sûr d’aimer ce que Spike Lee a fait de ce film. C’est peut-être un bon flm mais ce n’est pas à mon goût. J’aime Spike Lee. Je ne déteste pas Spike Lee mais je n’aime pas le concept de Chi-Raq.
J’a vu une interview qu’il a donné récemment où il affirmait que certains rappeurs qui critiquaient son film étaient les mêmes qui donnaient une image négative de Chicago…
Il a peut-être raison. Pour ma part, je ne sais pas si je donne une mauvaise image de Chicago, en tout cas je donne une image exacte…
Peut-être des gens comme toi, Common ou Chance The Rapper ont une voix légitime. J’ai aussi vu des artistes comme King Louie qui critiquaient Chi-Raq. Je ne connais pas sa vie, mais si je me base sur sa musique…
Non, non clairement pas (Rires) Mais plus sérieusement j’adore King Louie ! Il est « légitime » comme tu dis car c’est un artiste qui dans sa musique parle des circonstances qui entraîne cette violence. Il utilise le rap comme un médium pour sortir lui et les gens autour de lui de la précarité et de la pauvreté. Enfin des parties de ce qu’il raconte sont tirées de sa vie et cela peut être de l’entertainment pour certains. On ne devrait pas critiquer un rappeur comme King Louie, comme Chief Keef ou Lil Durk…Ce sont mes gars et je comprends d’où ils viennent car j’ai aussi été un temps dans les mêmes « activités » qu’eux. (NDR il est un ancien membre du gang de Black P. Stone Nation) Je ne pense pas que Spike Lee offre une vision exacte de ce que Chicago veut voir. Deuxièmement je ne sais pas si son film amène une solution.
Les gens disent qu’Obama est le premier président Hip-Hop. Es-tu d’accord ?
(Il réfléchit.) Je ne sais pas. Je ne sais pas quoi penser des mandats d’Obama pour être honnête avec toi…
Il vient notamment de dire que How Much A Dollar Cost de Kendrick Lamar était sa chanson favorite…
Oui j’ai vu ça, c’est cool…
Tu penses que c’est un écran de fumée ?
Oui et c’est pour ça que je suis partagé sur son action. Tu prétends aimer le Hip-Hop ? Alors tu devrais aussi t’occuper des préoccupations des personnes qui participent et construisent cette culture.
On a l’impression que depuis qu’il est au pouvoir il y a plus de problèmes pour les Noirs…
Ce n’est pas une impression : c’est pire ! Le chômage chez les Noirs est en hausse, les écoles ferment et on ouvre toujours plus de prisons. La situation financière des Noirs n’a jamais été aussi déplorable. C’est toujours difficile pour nous par exemple d’avoir accès aux crédits ou de monter un business. Il répète souvent la phrase « je suis le président de tout les Américains ». Ok et bien je suis un Américain aussi et je n’ai pas l’impression que tu sois pour nous tous. Tu choisis simplement quelques personnes que tu avantages. J’ai l’impression qu’il n’est pas le président qu’il avait promis qu’il allait être.
Pourquoi selon toi Chicago est une ville spéciale ? Lorsque j’y étais l’année passée, je ressentais cette différence mais il y a quelque chose…
…de spécial ? (Il sourit.) Chicago a du caractère. On aime la musique, les lyrics, l’art mais c’est un coin dur. Il y a des gens comme moi, Chance The Rapper, Lupe Fiasco, Vic Mensa et un jeune gars The Boy Illinois qui sont à la fois lyrical mais avec un côté je dirais « street ». Chicago a toujours été une ville de révolutionnaires. Fred Hampton des Black Panthers puis son fils viennent de chez nous. Nous sommes « anti statu quo ». C’est pour cela que nous repoussons les limites dans tout les domaines dés que nous le pouvons.